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REGARD SUR
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LES MARCHES
OCCIDENTAUX ONT DES YEUX DE CHIMENE POUR UNE CHINE EN PLEIN ESSOR, PRETE A PRENDRE
SA REVANCHE APRES PLUS DE TRENTE ANS D’OSTRACISME. MAIS EN MEME TEMPS
ON REDOUTE CE NOUVEAU MONSTRE QUE L’ON SOUPÇONNE D’ETRE CAPABLE
D’AVALER TOUT CRU NOS BENEFICES ET NOS AVANTAGES.
I - LE VIRAGE DE LA CHINE
On ne peut qu’être
surpris, voire admiratif, lorsqu’on observe les mutations
effectuées en moins d’une génération, tant par leur
ampleur que par leur rapidité. Certes
l’histoire chinoise est riche de ces bouleversements spectaculaires,
mais ici nous le voyons sous nos yeux et pour certains avec une certaine appréhension.
Quelle marche ce pays a-t-il adoptée ?
A.
DE MAO A L’APRES MAO
L’évolution a été chaotique, hors norme et surprenante...
1.
L’« anomalie » chinoise
Depuis 1949 après que Mao et le Parti Communiste aient
installé la République populaire de Chine, chassant
les nationalistes défaits qui se réfugient à Taiwan, s’exilent
vers Hong Kong, Singapour, l’Asie du Sud ou les Etats-Unis, les phases
d’industrialisation se sont succédé sur un mode très
chaotique, selon les intérêts et la volonté des
dirigeants chinois, soit d’ouvrir, soit au contraire de refermer le pays.
Toutefois, par rapport
aux autres pays du bloc socialiste, la Chine constitue une anomalie
:
>> Cette double
démarche a engendré un éclatement des structures industrielles
et une duplication des investissements : des milliers de producteurs, de taille
souvent sous-dimensionnée, fabriquent les mêmes produits aux quatre
coins du pays... Et la Chine détient ainsi le record mondial de la
fragmentation du tissu industriel.
2.
L’entrée dans l’économie de marché
Après la mort de Mao en 1976, ses successeurs ont lancé
des réformes connues sous la dénomination de «
quatre modernisations » touchant l’industrie, l’agriculture,
la défense nationale, les sciences et techniques, telles qu’elles
se mettent en place à partir de 1978 avec Deng
Xiaoping.
>> Tout cela
a alimenté la redondance des investissements de manière aveugle.
Multiplication sans grandes conséquences jusqu’au
milieu des années 1990, la croissance exponentielle de la demande
permettant à des entreprises de petite taille, même mal gérées
et protégées localement, de grignoter des parts de marché
suffisantes pour survivre.
Mais parallèlement, les autorités chinoises ont aussi l’ambition
de promouvoir des groupes de dimension internationale capables
de figurer dans le classement de Fortune, ce qui suppose de faciliter les concentrations.
B. LE ROLE DES DIASPORAS
Pour mieux saisir la rapidité et l’ampleur des mutations chinoises,
il nous faut retourner au territoire et à la géographie
: où en effet va-t-on développer des pôles de croissance
compétitifs ? dans les anciennes provinces industrielles surtout
liées aux gisements de matières premières... ? ou
dans les grandes villes... ? Pékin ? Shanghai ? ou bien...
1. Des
mesures exceptionnelles
Deng Xiaoping choisit les provinces maritimes du sud
pour « ouvrir la porte » aux échanges et aux investissements
étrangers avec une législation « spéciale
» :
- franchise douanière pour les produits importés
destinés à être réexportés après transformation
;
- autonomie des autorités locales sur le choix des investisseurs
(y compris des banques) et des productions, sur la fixation des prix et la cession
de terrains ;
- 80% au moins des bénéfices doivent être
conservés sur place ;
- des contrats temporaires peuvent être signés
avec les salariés...
Pourquoi là
? La réponse se trouve à Hong Kong, Macao et
Taiwan : les entrepreneurs chinois de la diaspora,
de traîtres à leur père et souverain Mao,
deviennent alors des agents précieux pour le rayonnement
de la Chine, car ils sont insérés dans le capitalisme
d’affaires, mais ils étouffent dans des territoires exigus et saturés,
et sont donc à la recherche d’espaces et de main d’œuvre
(2).
Entre 1980 et 1984,
les Zones économiques spéciales (ZES) (cf. cadre
rouge - carte 1) englobent les villes du Guangdong (Shenzhen,
Zhuhai et Shantou), du Fujian (Xiamen), de Hainan et du Guangxi (Wuzhou) pendant
que Hong Kong et Macao deviennent deux Régions
administratives spéciales.
En 1984 sont ouverts
trois deltas : la Rivière des Perles autour de Canton (Guangzhou)
(cf. carte 2) qui totalise 40 millions
d’habitants soit 3 % de la population ; le Yangzijiang (encadré
en pointillé - carte 1)
autour de Shanghai ; le delta de Xiamen (entouré en noir - carte1).
Puis en 1988 le
système est étendu à toutes les villes de la côte
Est.
2. Le
tournant historique de l’accession de la Chine à l’OMC
Le 11 décembre 2001, la République populaire de Chine
devient le 143ème membre de l’Organisation mondiale du commerce.
Quel sens a cette décision dans l’histoire de la Chine populaire
? n’est-on pas ici en pleine contradiction ?
En fait la Chine inscrit
sa politique dans une continuité qui repose sur sa volonté
de retrouver une place dans le concert des grandes nations
:
>> Les autorités
chinoises naviguent en réalité sur une véritable corde
raide : les débats sont vifs entre l’appareil du PC, qui voit venir
la mort de l’économie socialiste, et les espoirs des libéraux
chinois et étrangers pour qui ce processus pourrait amorcer un changement
politico-institutionnel vers plus de démocratie.
L’OMC ne cesse de rappeler la Chine à l’ordre
(3). Certains pensent qu’à terme l’accumulation
des remontrances peut changer effectivement le système légal
chinois en favorisant une réforme juridique : sont attendus la création
de tribunaux et de syndicats indépendants
du Parti communiste ; une évolution de la situation de l’emploi,
en particulier dans l’industrie étatique ; une légalisation
du travail.
Mais pour l’instant
la porte est d’abord ouverte vers le commerce mondial...
II - LES ENJEUX ECONOMIQUES
Il s’agit
d’assurer une triple cohabitation qui amorce une triple transition :
- d’une économie étatique et planifiée vers l’économie
de marché,
- d’une économie agricole et rurale vers l’économie
industrielle, urbaine et de services,
- d’une économie autarcique vers l’économie
ouverte.
> La Chine a donc beaucoup
plus besoin des autres que l’inverse...
- d’abord pour satisfaire son énorme marché intérieur.
En effet le choix s’est imposé d’une croissance
poussée par la demande : le pays doit s’équiper
; et la classe moyenne en pleine expansion est avide de biens
de première nécessité comme de luxe ;
- ensuite pour confirmer sa place sur les marchés extérieurs
comme cliente privilégiée.
Mais en même temps
la Chine fait peur car elle est devenue l’atelier
du monde, capable de produire à bas coût des
milliers de marchandises aussi diverses que les jouets (3/4
de la production mondiale), les jeans et les pulls, les DVD
et téléviseurs (TCL), les portables de Motorola
ou les ordinateurs d’IBM dont la section PC a été rachetée
par Lenovo... ; mais aussi des médicaments,
des semi-conducteurs... ; en attendant les trains, les
avions, etc.
A.
LA CHINE, UNE CLIENTE DE 1ER CHOIX ?
1. Un
aimant pour les investissements
La croissance chinoise
ne peut se faire qu’avec un apport massif de capitaux (4).
2. Sans doute la 3ème puissance commerciale...
... après les Etats-Unis et l’Allemagne, et avant le
Japon.
Mais ce qui est très
intéressant, c’est que le développement
de la Chine tend à rebattre les cartes de la répartition des richesses.(5)
>>> Il
y a donc une étroite interaction entre production, commerce extérieur
et entreprises étrangères qui contrôlent la moitié
des échanges chinois. Beaucoup importent des biens pour les transformer
et les réexpédier (8)... et la Haute-Normandie
nous en fournit une illustration...
3. La question énergétique
C’est évidemment un souci majeur. Actuellement les ressources
nationales sont insuffisantes et l’équipement
vétuste, en particulier dans les mines
régulièrement secouées par des accidents mortels. Des investissements
sont en cours tant dans l’hydroélectricité
(barrage des 3 Gorges dans le Sichuan, montagnes côtières du Guizhou)
et la prospection d’hydrocarbures s’accélère
dans l’Ouest (Xijiang) et en Mer de Chine.
La Chine est
depuis 2003 le 2ème consommateur
de pétrole (après les Etats-Unis) dont elle achète
7% de la production pour seulement 10 jours
de réserve ; elle consomme aussi 1/3 du
charbon mondial. Ici encore elle apparaît en concurrente
directe avec l’ensemble des acheteurs du Nord comme du Sud.
Et comme tous
les importateurs d’hydrocarbures, la Chine souhaite assurer la sécurité
et la longévité de ses approvisionnements. Elle
privilégie donc les contrats à
long terme pour éviter d’être
soumise aux fluctuations du cours du brut :
B. UNE NOUVELLE GEOGRAPHIE
La
Chine fournit une formidable image de la mondialisation. En effet,
les IDE se dirigent massivement là où
se concentrent :
- les infrastructures les plus développées (transport,
fluides, banques, ports...),
- le bon niveau d’instruction de la population (universités
et écoles d’ingénieurs),
- ... et la présence de villes : l’urbanisation
est un facteur déterminant pour le choix et le recrutement
de la main d’œuvre et l’élargissement
de marchés solvables. Mais la ville représente
aussi le lieu d’un certain affranchissement par rapport
au contrôle social traditionnel.
>>Les
régions côtières chinoises ont tous les atouts requis pour
une véritable insertion dans la mondialisation : sur 14% du
territoire, elles concentrent 41% de la population, 56% du PIB, 85% des IDE,
90% du commerce extérieur (10).
1.
Les provinces maritimes en tête
En choisissant
de préférence les régions côtières,
les IDE renouent avec et renforcent l’opposition millénaire entre
une Chine littorale ouverte, - la route de la soie commençait
au Fujian -, et une Chine de l’intérieur.
Et il nous est loisible de retrouver ici la géographie des ZES
(cf. carte 3)
2.
Une métropolisation croissante
La même fièvre anime l’industrialisation et l’urbanisation,
ce qui renforce le rôle des métropoles côtières,
acteurs dynamiques de la mondialisation, et instruments d’une
nouvelle centralité.
Shanghai est le
symbole de ce renouveau urbain. Retrouvant sa vocation d’avant-garde
de la modernité qu’il avait dans les années 1920 et 1930,
c’est désormais une agglomération de 16 à
20 millions d’habitants, où affluent les capitaux
du monde entier et les travailleurs des campagnes chinoises,
ainsi que tous les étrangers en quête de croissance ou de nouveauté.
La ville est en pleine effervescence d’infrastructures, de gratte-ciel,
de consommation... sur le modèle de Singapour ou de Hong
Kong, et prépare avec zèle l’Exposition
Universelle pour 2010, contrepoids aux Jeux Olympiques très
pékinois !
L’une
des images les plus vivaces de la fièvre urbaine à
Shanghai est donnée par le nouveau quartier d’affaires
et de loisirs de Pudong, qui bénéficie
du statut de Zes. Le projet de créer de toutes pièces une
ville nouvelle à Pudong, sur la rive droite du
fleuve Hangpu, à partir d’un terrain vague de 520 km2., a
été lancé dès 1993, à
grand renfort de fonds publics et privés. Industries de pointe
et pôles de haute technologie viennent s’insérer dans le
nouveau paysage urbain qui contraste aussi bien avec
la ville de l’entre-deux guerres qu’avec les quartiers populaires. |
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En 2004
Shanghai a attiré autant de IDE que l’Indonésie
ou le Mexique. Pour la moitié ces capitaux sont d’origine chinoise
et avant tout taiwanaise : sur les 30000 entreprises à capitaux partiellement
ou totalement étrangers que compte la ville, plus de 5000 sont
taiwanaises. Les hommes et les femmes de Taiwan viennent
aussi en grand nombre (ils seraient 500 000) bien que leur statut légal
soit des plus flous puisqu’ils ne sont ni Chinois, ni étrangers,
assez mal vus donc, mais riches d’argent et de savoir-faire.
Ce développement
ne va pas sans dommages. Le premier est d’ordre urbanistique,
puisque les autorités n’hésitent pas à éventrer
des quartiers entiers sans assurer de relogement à la population(11)
. Un second problème tient au renchérissement
des terrains et des loyers. Cela contraint
investisseurs et habitants à s’écarter de l’agglomération
et à aller chercher plus loin dans les terres de l’intérieur
des lieux plus accessibles pour leur bourse. Le tissu urbain tend donc à
s’épandre en tache d’huile, grignotant
les champs et leurs cultures, mais à l’inverse diffusant
une modernité qui, pour l’instant, est enviée.
3. Une « Méditerranée » asiatique
Les villes chinoises de
la côte s’inscrivent dans un réseau mondialisé
et, pour reprendre l’image de l’économie d’«
archipel », regardent bien davantage vers les autres villes portuaires
asiatiques que vers l’intérieur du pays... tout comme l’avait
décrit en son temps Fernand Braudel pour « notre
» Méditerranée.
Ici s’allonge donc
bien une « Méditerranée » asiatique
(cf. carte 4), du Japon et de la Corée à
Singapour et à la Malaysia, qui constitue un arc manufacturier
aux possibilités de croissance productive pour plusieurs générations,
en liaison avec des marchés proches ou très éloignés,
américains ou européens.
S’y élabore, comme dans un laboratoire, de nouvelles normes
sociales et géopolitiques, qui brouillent
le quadrillage de la planification bureaucratique et la réglementation
normative héritée du maoïsme, qui contournent
aussi les obstacles de systèmes étatiques très hétérogènes.
CONCLUSION
La Chine « utile » a donc rebasculé vers l’Est avec
les encouragements du Parti communiste chinois. Ce dernier n’en est pas
à un paradoxe près, lui qui fut si longtemps acharné à
maintenir un contrôle du « centre », donc de Pékin,
sur le développement économique. Retrouvant à présent
l’ambition impériale de faire de la Chine un monde puissant, autonome,
ouvert, il s’accommode très bien des souverainetés floues,
des réseaux flexibles, des frontières fluctuantes...
(1) Cf. La concentration
dans l’industrie chinoise article de Jean-François Huchet
dans Perspectives
chinoises n° 52 mars - avril 1999, page n°5
(2) Cf. La mondialisation
vue de la Chine par Thierry Sanjuan dans Les
cafés géographiques juin 2003
(3) Intéressant
à ce sujet de consulter le site Internet officiel de l’OMC où
on peut lire la longue liste des procès en cours pour manquement aux
règles établies : la Chine vient en tête...
(4) cf. Intégration
ou désintégration : Les effets spatiaux de l’investissement
étranger en Chine de François Gipouloux
Perspectives chinoises
n° 46, mars - avril 1998, page n°6
(5) cf. Alternatives
économiques - Dossier : Chine, Inde, Brésil,
les nouveaux géants
(6) cf. Libération
du 6 septembre 2005 : les Profiteurs du « made in China »
(7) cf. L’industrie
chinoise face au défi technologique de Cong Cao
Perspectives chinoises
n°83 mai-juin 2004, page n°4
(8) Fishman p.11
(9) cf. Le nouvel
Observateur du 1er septembre 2005 : Chinois cherchent pétrole
désespérément
également Libération du 5 décembre 2005
: Energie : l’obsession qui fait courir Pékin.
(10)cf. Documentation
Photographique : la Mondialisation en débat
(11)cf. Fishman
1er chapitre : Shanghai vue du fleuve