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La
journée commence par l’étude d’un exemple de proto-industrie
à travers les installations de la manufacture musée
d’Ezy ou musée du peigne. Ce développement industriel
diffère de celui que connaît la vallée du Cailly
au XIX° siècle où ce sont les Anglais qui pour
conquérir le marché français créent
les ateliers et apportent les machines. A Ezy, l’initiative individuelle
locale est à l’origine des manufactures et se trouve liée
à l’exode rural. C’est une étape vers la ville.
Depuis longtemps, les cultivateurs modestes du plateau de Saint
André, les bûcherons et même les vignerons des
coteaux de l’Eure tiraient un complément de ressources en
fabriquant des peignes à partir de l’alisier, du buis, du
sabot de cheval, et de la corne de bœuf. Vers 1820, la mécanisation
agricole libère des bras et la crise du phylloxéra
ruine les vignobles. Nombreux sont alors ceux qui quittent définitivement
la terre pour venir dans la vallée où progressivement
se concentre la fabrication des peignes. Cette concentration qui
fit d’Ezy la capitale normande du peigne s’explique par plusieurs
facteurs : la vallée permet une plus grande facilité
des communications notamment avec Paris qui se trouve à 80
km. Le chemin de fer s’y installe rapidement favorisant l’exportation
et l’importation de matières premières (l’ivoire,
les cornes de buffles argentins, l’écaille des tortues).
Certains ateliers profitent de la rivière utilisée
très vite comme source d’énergie peu chère
et des moulins fariniers reconvertis. Enfin des habitants de la
région sont à l’origine de deux innovations majeures :
le maire d’Ezy, monsieur Jourdain invente le procédé
de l’ouverture hélicoïdale de la corne qui permet d’obtenir
un matériau plat de meilleure qualité ; un groupe d’artisans
met au point dès 1830 une machine à couper le peigne.
Les lieux de production peuvent alors se multiplier le long de l’Eure,
sous forme de petits ateliers jouxtant la maison du patron. Le marché
devient vite international, allant de l’Europe de l’Est au Maghreb.
Les ateliers d’Ezy fournissent aussi les grands couturiers et les
grands coiffeurs parisiens. Au début du XX° siècle
apparaissent de nouvelles matières premières de la
famille des plastiques comme le rhodoïd, la celluloïd,
la galalithe (caséine de lait précipité dans
le formol imitant l’ivoire). Ce rayonnement mondial, cette main
d’œuvre nombreuse et peu coûteuse, le faible investissement
caractérisent une proto-industrie. Le déclin intervient
progressivement après la Seconde Guerre Mondiale, les manufactures
se révélant incapables d’investir suffisamment et
de choisir soit la voie de la consommation de masse à travers
l’injection plastique comme à Oyonnax soit celle du luxe.
La manufacture musée d’Ezy se compose d’un ensemble bien
conservé de plusieurs bâtiments typiques de ces petites
entreprises proto-industrielles. On accède au musée
en traversant l’ancien jardin bourgeois qui conduit le visiteur
à l’arrière de la maison du maître. En face,
se trouvent deux longs quoique modestes bâtiments en briques
dotés de verrières, ils servaient d’ateliers. Au fond
de l’étroite cour formée par la maison et les ateliers
s’ouvre l’ancienne entrée réservée aux ouvriers.
La visite commence par l’atelier de droite qui présente les
méthodes de fabrication les plus anciennes. On peut y voir
notamment une banque, sorte de banc en bois qui permettait à
l’ouvrier de fabriquer le peigne entièrement à la
main avec des outils tels que l’estadou, l’écouanette, les
grêlots, les furgues. Plus loin est présentée
une série d’appareils mécaniques qui sont les premières
machines utilisées par les " peigneux ", les hommes
qui coupaient les peignes. Disposées le long d’un axe entraîné
par des roues de bois, ces machines ont fonctionné grâce
à des manèges de chien puis grâce à un
moteur au gaz pauvre et enfin grâce à un moteur électrique.
Elles permettaient à l’ouvrier de couper le peigne dans la
matière choisie. Plus loin encore sont disposées d’autres
machines permettant cette fois aux femmes de poncer puis de polir
les peignes. C’était un travail sans doute encore plus pénible
qui se faisait dans l’eau et la boue ; l’ouvrière était
seulement protégée de l’humidité par du papier
journal dans ses sabots et un simple tablier de jute. L’atelier
n’étant pas chauffé, ces femmes devaient même
casser la glace avant de se mettre au travail lors des hivers rigoureux.
Le travail était si pénible et mal payé que
l’entreprise avait du mal à trouver de la main d’œuvre,
le polissage et le ponçage furent donc mécanisés
et les peignes placés dans des tours en bois remplis de billes
de buis pour le ponçage.
Le centre de ce premier atelier était occupé par des
bureaux séparés du reste par des verrières.
Cette disposition s’explique par une évolution dans le "
regard " du patron. A l’origine, lorsque le travail se rémunérait
encore à la tache, il surveillait ses ouvriers de loin. Il
passait ses journées dans un bureau situé dans la
maison de maître dont la fenêtre donnait sur la cour
et les ateliers. Puis, le travail étant payé à
la semaine, il fallut surveiller de plus près les ouvriers.
Les bureaux s’installèrent au sein même des ateliers.
Enfin après 1968, les mentalités ayant évolué,
il fallut aveugler la verrière qui séparait ateliers
et bureau. Le patron se fiait alors à la régularité
du bruit des machines pour contrôler ses ouvriers et éviter
le bavardage et surveillait la fabrique par un judas.
La visite se poursuit dans l’atelier en face qui présente
les techniques plus récentes ; elles ont permis à
l’entreprise de survivre jusque dans les années 80. L’organisation
du travail est entièrement différente, l’entreprise
est passée au travail " en miettes " ( Fourastié),
les machines et les ouvriers sont spécialisés dans
une tâche précise. Les appareils sont plus modernes,
la finition du peigne est même entièrement mécanisée
mais le guide nous fait vite comprendre que cette mécanisation
a été plus subie que voulue. L’investissement ne se
faisait que par la contrainte. En 1945 la main d’œuvre préfère
aller travailler dans les usines Singer ou Renault de Flins.
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La visite se
termine par la maison du maître qui expose les plus belles
pièces fabriquées dans la région. Certains
peignes pour chignons sont de véritables chefs d’œuvres
comparables à une dentelle décorative.
La gestion d’un tel ensemble pose d’énormes problèmes.
Les relations avec les responsables du ministère de la Culture
sont difficiles. Les autorités désirent imposer des
normes de visite qui ne permettent pas l’approche des machines ;
elles exigent aussi la nomination d’un véritable conservateur
ce qui n’est pas dans les moyens d’une petite structure comme le
musée d’Ezy. |

Musée
d’Ezy-sur-Eure (écaille blonde)
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